> Marie a onze ans et demi et déjà elle sait quelle ne veut pas mourir. Et même si les personnages
seffondrent autour, elle a choisi de vivre plusieurs vies et de le faire vite. Commence alors une fuite en avant menée
par un imaginaire pittoresque et une formidable envie de dévorer le monde.
> Le texte de Carole Fréchette, auteure contemporaine québécoise à qui on doit de belles histoires,
raconte ici un itinéraire cahotique et rocambolesque qui dit le furieux appétit de vivre et de rêver chez
son héroïne, même si les fantômes de lenfance laccompagnent toutes ces années.
> Avec "Les quatre morts de Marie" présenté par le Vélo Volé, François Van
Han a conçu une version moderne - presque cinématographique - où domine un sentiment durgence que
lon retrouve dans la mise en scène : urgence des déplacements, des changements à vue qui enchainent
les scènes les unes aux autres tel un montage serré de film-rythmé par une nerveuse bande son électro.
> La distribution, parfaite, est dominée par la prestation de Céline Jorrion, poustouflante de vérité.
Quand elle interprète Marie enfant, on sy croirait : langage, phrasé, intonations, gestuelle
tout est là.
> Elle est tout aussi impressionnante lorsque, plus grande, elle ressent la nécessité de dire pour combler
labsence dun père et labandon dune mère, se recrer un monde fantasmagorique dans lequel
on ne meurt jamais, même si cela doit passer par plusieurs vies, toutes plus rapides, pour aller au cur des choses,
brûler ce quon laisse derrière et senfuir vers un océan de tous les possibles. Malheureusement,
le réel la rattrapera et réfléchira avec âpreté une intense et éprouvante solitude.
> Une pièce forte doù point une petite nostalgie tenace de rêves denfant jamais réalisés.
Nicolas Arnstam
Marie a onze ans et demi, Elle virevolte avec sa jupe fleurie et ses souliers neufs qui brillent. Elle a du talent
pour raconter les histoires, et en deux coups de cuiller à pot, elle a le don de vous faire pénétrer
son univers où cohabitent Christophe Colomb et d'immenses dragons. Oui mais voilà, tout n'est pas si rose pour
la petite fille qui ne cesse de crier sa soif d'amour sans que personne ne lui réponde. Sur cette douleur enfantine
qui ne cicatrise pas, Carole Fréchette, a bâti un texte qui envoie une décharge d'émotions. La
mise en scène de François Ha Van fait la part belle à l'onirisme qui hante la pièce. Mais c'est
sur Céline Jorrion que cristallise notre attention. Elle est une Marie des plus justes et des plus émouvantes.
Une fragilité maîtrisée, qui ne vire pas au trop lourd pathos. Entre rires et larmes, elle fait en permanence
vaciller le spectateur et porte à bout de bras toute la beauté de l'enfance. Dimitri Denorme
semaine du 18 au 24 avril 2007Pariscope
Moment de grâce
Ambiance de première au Théâtre du Lucernaire. On se hèle, on sapostrophe. Les comédiens
aujourdhui spectateurs parlent suffisamment fort pour quon sache queux aussi, « ils en sont ».
Les chargés de communication sébrouent joyeusement dans la foule nombreuse. Bref, le monde du théâtre,
dont je fais partie avec mon carnet de notes à la main, se joue sa petite comédie sans conséquence, celle
de leffervescence qui entoure invariablement la naissance dune pièce. Mais, ce soir, quand le noir sest
fait dans la salle, plus de chuchotements mondains, silence absolu. Et sincère. Soudain, face à la scène,
il nest plus resté que des hommes et des femmes subjugués. Fascinés par les mots clairs et tranchants
que nous adresse ce personnage nommé Marie.
Elle nous le dit à toute vitesse, comme si sa vie en dépendait : ce soir, devant nous, elle va mourir.
Quatre fois. Quatre tableaux pour illustrer la lente descente dune femme écrasée par sa solitude, qui
veut croire à la vie quand la mort na de cesse de la rattraper. Mais attention, ici, pas de misérabilisme,
de pathos, non. Le texte de Carole Fréchette nous invite simplement dans le cur, dans la peau, dans les os dune
amoureuse de la vie, qui veut encore et toujours y trouver sa place quand tout est trop grand pour elle. Lémotion
nous étreint, car Carole Fréchette touche juste. Dans le mille. Ses mots réveillent en nous des peurs
enfouies, universelles. La peur de lenfant face à limmensité béante, face à labandon,
face au mystère de la vie et de lamour que les hommes peinent à se donner et désirent tant recevoir.
À la fois ombre et lumière, son texte est le lieu exact de la rencontre entre instinct de vie et pulsion de
mort. Telle une explosion.
Et lexplosion, cest sur scène quelle a lieu. Explosion de vie avec Marie, que nous découvrons
dabord enfant. Étincelante Céline Jorrion, qui interprète une enfant de onze ans. Tout y est :
le corps, la voix, lénergie, les élans, la lumière. Surtout ça, la lumière. La lumière
qui est dans le regard dune petite fille de onze ans évoquant ses rêves avec son copain Pierrot. Cette
enfant soudain devant nous, comme une évidence, et que lon suit avec délectation, jubilation, émotion
tant elle est juste, vraie, sincère. Marie se meut dans un espace coloré et aérien, vivant, fait de draps
étendus et de tissus vichy, traçant une belle diagonale sur le plateau. Un espace qui contribue à cette
sensation de beauté simple et fluide. Et qui semble soudain se glacer quand la petite-fille simmobilise, comprenant
que sa mère la abandonnée.
Il faut ici avouer que cette première scène est dune telle force que lon a quelques difficultés
à faire le saut vers Marie adulte. On sest tellement fait happer par cette enfant que cest comme un deuil
de la laisser. Mais lénergie que mettent les comédiens du Vélo volé est telle que nous nous
laissons à nouveau transporter. Cette énergie déployée sur scène, que ce soit dans les
changements ultra-rapides de décor ou dans limplication des corps, fait écho à la nécessité
qua Marie de nous dire son histoire. Tous remarquables, les comédiens dessinent des personnages drôles,
excessifs, qui se débattent dans la vie plus quils ne la vivent réellement. Et cet acharnement-là
nous fait hésiter entre le rire et les larmes, et finit par nous mener bien au-delà, au cur denjeux
réellement vitaux.
De leur côté, la scénographie et les lumières créent avec une grande intelligence des espaces
différents par la simple suggestion. Les éléments sur le plateau sont toujours essentiels, jamais anecdotiques,
et prennent toujours une valeur esthétique. Cest beau et aéré. Le seul bémol irait à
la scène de la poupée brûle, pas vraiment convaincante, probablement pour des raisons techniques. Mais
la dernière image, où Marie est seule au milieu de la mer sur un radeau, est tout simplement magnifique. Mettre
la mer sur la scène du Lucernaire ? Eh bien, avec François Ha-van, cest une simple évidence.
Le sol noir, nu, une chaloupe minuscule au milieu du plateau, une légère pluie tombant sur Marie, et on ressent,
plus que jamais, la solitude extrême de ce personnage. Son beau regard se pose sur nous, et, tandis que leau lenvironne
de partout, on pleure pour cette femme qui a gardé en elle, douloureusement, toutes les larmes quune petite-fille
aurait bien voulu verser. ¶
Élise Noiraud
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